JOKER GAME — Au Service Secret de la Japanime

» Critique de l'anime Joker Game par Deluxe Fan le
04 Juillet 2016
Joker Game - Screenshot #1

Parmi les grands archétypes de fiction, la figure de l’agent secret est de celles qui a le plus fasciné les écrivains, cinéastes et scénaristes de tous bords. Le principe même de l’espionnage, qui repose sur la manipulation de l’information, est un sujet de rêve pour n’importe quel auteur, dont la vocation est avant tout de manipuler le public. Il était donc étrange que l’animation japonaise, qui a brassé des thèmes aussi divers que la boulangerie et les bains-douches gréco-romains, n’ait pas encore eu droit à son vrai anime d’espionnage. Depuis la diffusion de Joker Game ce printemps 2016, cette erreur est enfin réparée.

Joker Game est au départ un roman best-seller en plusieurs volumes de Koji Yanagi, qui raconte plusieurs histoires se déroulant au cours des années 1940 dans lesquelles les membres d’une agence de renseignement opèrent à travers le monde pour l’Empire du Japon. Compte tenu du contexte et du sujet, une éventuelle adaptation animée ne pouvait pas être confiée au premier studio de clochards venu. Fort heureusement c’est mon chouchou Production IG qui a été choisi ; le studio de Jin-Roh et de Ghost in the Shell sait y faire avec les créations animées sérieuses pour adultes et n’aurait pu constituer meilleur choix.

Joker Game - Screenshot #2Ainsi qu’expliqué ci-dessus comme dans cet article génial, Joker Game se déroule autour de l’année 1940, alors que la Seconde Guerre Mondiale a déjà débuté… En Europe tout du moins. En effet, le Japon n’entrera en guerre que plus tard, et concentre alors ses efforts à maintenir son empire colonial en Asie. Un effort qui passe également par le renseignement, une donnée de plus en plus capitale à cette époque mais que le Japon a tendance à négliger ; les autorités militaires voient dans l’espionnage une pratique déshonorante, indigne de leur idéologie héritée du bushidô.

Une opinion que ne partage pas le mystérieux Colonel Yuuki, qui décide de monter clandestinement une agence de renseignement paramilitaire. Inspiré des pratiques occidentales, Yuuki recrute aussi bien des soldats que des civils et les soumet à un entraînement draconien pour les transformer en véritables machines. Ces « monstres » qui partiront bientôt aux quatre coins du globe forment ce que l’on appelle l’Agence D…

La série suivra donc les différents membres de l’Agence D dans leurs exploits, qui impliqueront une infiltration au sein de la Résistance Française, une enquête dans les quartiers interlopes de Shanghai, un duel contre le SIS à Londres, une lutte face au contre-espionnage nazi à Berlin, entre autres. La seule règle qui suit la série durant douze épisodes est justement l’absence de règles, toute dévouée qu’elle est à exprimer la qualité première du récit d’espionnage : l’ambigüité.

Joker Game - Screenshot #3Cette ambiguïté passe en premier lieu par le contexte, et la manière avec laquelle Joker Game mêle réalité et fiction sans jamais dresser de barrière claire entre les deux. L’anime utilise énormément de marqueurs historiques, mais en aucun cas il ne les livre tels quels aux spectateurs. Chaque facteur historique est présenté tel un élément de l’intrigue, et semble découler naturellement du scénario. Joker Game n’a aucune intention documentaire, et laisse le soin au public de parfaire ses connaissances en Histoire par ses propres moyens, pour mieux ensuite profiter du récit en lui-même.

Dans le même esprit, l’aspect idéologique et politique du récit est réduit à sa plus simple expression. Joker Game fait indubitablement preuve d’un dédain total envers les institutions militaires du Japon de l’époque, et crache ouvertement à la gueule de l’Armée, de l’Empereur et de leurs symboles. Au-delà de ça, l’anime ne questionne pas les relations entre le Japon et l’Allemagne nazie, ni ne revient sur les exactions perpétrées par le Japon en Asie ; sans toutefois nier qu’aucun de ces évènements ne se soient déroulés. Yuuki et ses hommes ne sont-ils pas finalement les promoteurs du fascisme et du totalitarisme ? Là encore l’ambigüité plane ; les intentions de Yuuki restent troubles et les indices glanés çà et là laissent sur des questions plus que sur des réponses.

Joker Game - Screenshot #4Tout cela ressort d’une volonté pour Joker Game de rester dans le flou, de ne jamais dévoiler toutes ses cartes au grand jour comme dans le jeu de poker qui donne son titre à la série. On le voit également dans la narration de l’anime, qui pulvérise les conventions du genre. Pas d’intrigue continue, des épisodes individuels racontés dans le désordre chronologique ; des personnages évanescents, dont on ne connait même pas le nom et aux personnalités interchangeables tout comme leur physique. Dans tous ses éléments Joker Game se veut insaisissable, ectoplasmique. Les espions disparaissent aussitôt qu’ils sont introduits, ils sont impliqués dans certains des évènements les plus importants du XXe siècle mais on sait déjà que leurs efforts ne mèneront à rien dans le grand ordre des choses, puisque le Japon finira par perdre la guerre. Et pourtant chacun d’entre eux est présenté sous son meilleur jour, tel un héros.

C’est par cette inhabituelle ambigüité que Joker Game a autant divisé le public de l’animation japonaise, habitué à des formats et des propos beaucoup plus linéaires et simplistes. Et c’est exactement pour cela que moi, j’ai kiffé.

Joker Game - Screenshot #5Pour commencer, le choix de la narration épisodique est très intéressant puisqu’il permet à la série d’expérimenter à chaque épisode, et surtout de varier les contextes et les ambiances. La période des années 40 est tellement riche et si rare, on ne peut pas blâmer la série de vouloir en montrer le plus possible quitte à rester parfois en surface. Certains épisodes sont forcément moins à la hauteur que le reste, mais de manière générale la série se maintient à un haut niveau d’écriture et chaque segment est d’une grande densité, qui fait de chaque épisode une vraie petite œuvre à part entière.

Ensuite, Joker Game fait preuve d’une passion sans bornes pour son sujet, l’espionnage ; pas celui des films d’action, celui des romans. L’espion y est montré dans tous ses états ; intriguant, manipulateur, cynique, mais aussi loyal et ultra compétent. Parfois il est victime des circonstances, parfois de ses propres faiblesses d’homme. Dans tous les cas ils représentent tous une émanation du Colonel Yuuki, sorte d’übermensch de l’ombre, dont les capacités de stratège et le formidable charisme le placent à un niveau tout simplement supérieur à celui des pauvres mortels que nous sommes, et dont chaque acte, chaque réplique résonne comme une sentence empreinte de gravité et d’élégance.

Cette élégance se trouve aussi bien sûr dans la réalisation de Production IG, qui aligne son savoir-faire en matière de décors soignés, de designs travaillés et d’animation précise pour donner à l’ensemble un indéniable cachet formel, soutenu par la bande-son d’un Kenji Kawai qui livre ici un de ces meilleurs travaux récents, dans un style classique fatalement inspiré des films noirs et du cinéma d’époque.

L’époque, c’est justement tout ce qu’incarne Joker Game et tout ce contre il lutte en même temps. Lorsque la mode est au cliffhangers et aux discours simplistes, Joker Game préfère les intrigues discontinues et l’ambigüité de personnages sans attaches. Évidemment que cette série n’est pas faite pour tout le monde, et je n’ai pas tant de mépris que ça pour ceux qui sont resté au bord du chemin. Mais pour une fois qu’un anime ne m’a pas pris complètement pour un con, je vais pas faire mine de minimiser le plaisir que j’ai eu en la regardant et en la partageant.

Verdict :8/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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